LA VENGEANCE DU DOCTEUR WATSON

- POSTFACE -

   Double assassinat dans la rue Morgue, Le mystère de Marie Roget et La Lettre volée, trois nouvelles d’Edgar Allan poe rédigées entre 1841 et 1844, sont considérées comme fondatrices de la forme moderne d’un genre littéraire pourtant plus ancien : le roman de détective ou roman policier, roman d’enquête, roman noir. Modernité du genre qui implique que l’enquête sera menée de manière scientifique, jusqu’à la découverte de preuves nécessaires et suffisantes.

   Aussi, Auguste Dupin, protagoniste principal de ces trois récits, est-il le parent en ligne directe de Sherlock Holmes et son auguste antecessor ; Quant au narrateur, il est le rapporteur fidèle des déductions du détective français – et tient en cela un rôle similaire à celui du Docteur Watson dans les romans de Conan Doyle.

   Il n’aura pas échappé au lecteur que les récits qu’il vient d’achever, sont, en quelque sorte, tronqués ; et ceci radicalement, puisque le texte se permet l’audace de donner la solution immédiatement après l’exposé complet de l’énigme à résoudre – brisant alors deux fondements essentiels à ce genre de récit : le cheminement logique de l'esprit au fil de l'enquête, et le suspens.

   Sans mener d’enquête approfondie, sans espérer de conclusion définitive ni même satisfaisante, il nous est cependant possible d’élaborer a minima trois hypothèses quant à la genèse de ces récits pervertis et aux motivations du corrupteur.

   La première serait une réécriture tardive des récits de Poe par... lui-même. La radicalité de ces nouvelles versions aurait pour objectif de faire basculer une partie de son œuvre dans une modernité inédite, d'un minimalisme avant l’heure, quasiment conceptuel. La tentative susceptible de faire franchir à son esthétique le pas d'un siècle. Poe ou... un autre - anonyme avant et demeuré inconnu : la chose n’est pas non plus impossible.

   La seconde est celle d’une réécriture de Conan Doyle. Contrefaçon manifeste et malveillante. Un mobile ? Rien d’assuré ; insinuer peut-être que les déductions de Dupin se font en l’absence de toute raison, de tout esprit logique, fruits hors-sol d’un hasard providentiel ? Ôter tout génie logique au personnage, pour enlever à Poe, son créateur, l'auréole de fondateur du genre.

   La dernière hypothèse recèle des motivations plurielles, plus complexes ; aussi est-ce celle que nous voulons retenir.

   Le Docteur Watson, cet ami très fidèle se lasse de sa propre fidélité. Il se décide à avoir, pour une fois, le dernier mot sur son ami tant célébré. Ecrire ce mot c’est espérer tracer, marginalement peut-être mais par lui-même, le sillon de sa postérité.

   Pas plus ne peut-on, exclure un geste simple de rebufade du docteur contre la lassante répétition des veilles interminables passées aux côtés du maître et exigées de lui lors de ses réflexions.

   Pour Watson cependant, il est difficile de toucher au récit holmesien. D’abord parce que sa place y est honorable et éternellement assurée  ; ensuite parce qu’il serait le premier suspecté d’une intervention frauduleuse de ce genre.

   A l’inverse, augmenter les qualités de Dupin relativement à celles de Holmes est envisageable. Watson mettrait donc en scène un détective français qui n’est ni le charlatan, ni l’escroc que son ami prétend, mais un pouvoir extralucide, un individu extraordinaire, surhumain presque - c'est-à-dire fantasmagorique, légendaire, irréel ...et in fine inexistant.

   Cette troisième et dernière hypothèse possède un ultime avantage : elle permet de conserver toute l’amitié de Watson à Holmes, et ne brise donc pas la légende. L'intervention du bon docteur est une facétie. Il a de l'humour le carabin ! Un joyeux drille ! Distraire son ami, lui décrisper la mâchoire, voilà son but !

   Peut-être lui en a-t-il fait lecture, dans la pénombre aux chandelles de leur salon du 221b Baker street ? Peut-être cela a-t-il plus, peut-être ont-ils ri ?

NOTE DE L’ÉDITEUR

   Selon ses principes, la recopie par les éditions Inaudible des versions inédites de ces trois récits d’E.A. Poe s’est faite au clavier, sans copier-coller.

   Ceci a permis au recopieur de mesurer, en regard des versions originales, la masse du nombre des mots ignorés et la maigreur du nombre de ceux qui leur ont été substitués. En effet, prises ensemble, les trois inédits comptent 39 117 mots de moins que les textes dont ils sont issus, pour 112 mots ajoutés (répartis en 5 phrases seulement).

   L’ampleur de cet exclusion et la discrétion des ajoûts ne pouvaient que plaire en l’esprit aux éditions Inaudible. Le comptage de ces 39 117 mots, mené à bien par l’un des caractères les plus tenaces des éditions, aura duré quelques 3322 minutes, soit 6 heures et 4 minutes. Quant aux 112 mots ajoutés, ils représentent moins de 0,30 % du nombre de ceux ignorés.

   Compter nécessite d’établir une procédure, ce qui impose des choix. Parmi ceux-ci, notons que :

      - Les signes de ponctuation n’étant pas des mots, ils n’ont pas été pris en compte.

      - Prennent valeur d’une seule unité (un seul mot) : les initiales, les mots-composés. Les inversions verbe-sujet (qui contiennent un tiret : « dit-il », « pensai-je »...) ne font pas partie des mots-composés et comptent pour deux unités.

      - Les noms propres en plusieurs mots (« Le Blanc ») comptent pour autant d’unités.

   Le comptage s’est donc fait, ici encore, à la main - à une vitesse moyenne de 107 mots environ par minutes. Pas de recomptage, car l’opération a pu être considérée comme assez fiable pour qu’une approximation suffise à sa pertinence. Au demeurant, le geste du compteur compte ; et l’importance de la tâche accomplie constitue une authentique performance – plus impressionnante sans doute que la valeur absolue de son résultat.